Les couronnes de fleurs

Les couronnes de fleurs

Les fêtes dionysiaques

Au mois de mars les fêtes en l’honneur du dieu de la végétation se succédaient. D’abord les Anthestéries puis les Grandes Dionysies.

Odéa avait une préférence pour les Anthestéries car pour l’occasion, les Athéniens ornaient leurs demeures de vases remplis de fleurs printanières. Le lendemain les parents venaient acheter des couronnes de fleurs pour les enfants qui devaient avoir trois ans dans l’année. Ces deux jours étaient éreintants mais rentables.

Plus tard dans le mois, les Grandes Dionysies célébraient l’art : les poètes et les acteurs se livraient à un concours dont le vainqueur se voyait décerner une couronne de lierre.

Les Grandes Dionysies étaient moins lucratives mais elles permettaient à Odéa d’approcher de près ses acteurs préférés dont l’irrésistible Athos. Quelle groupie. Comme tous les ans, Athos gagna le concours et Odéa dut lui poser un cercle de lierre sur la tête. Le comédien profita de ce rapprochement pour l’inviter discrètement à un banquet donné par un de ses amis le lendemain. 

Odéa était sur un nuage, mais après quelques minutes de jubilation elle se demanda ce qu’elle allait faire durant cette soirée, entourée d’artistes enivrés en hommage à Dionysos. Tout le monde sait comment terminent ces banquets.

Que devait-elle faire ?

Offrir des fleurs pour un dîner

Odéa alla chercher conseils auprès de son amie Glycère qui lui recommanda de se rendre à la soirée.

Mais attention, il est très impoli d’aller à un banquet et d’arriver les mains vides. Tu es fleuriste, tu peux amener des couronnes si tu veux. Au regard du taux d’alcool à prévoir, elles seront très utiles.

– Je ne vois pas le rapport entre les couronnes et l’alcool.

Certaines plantes dissipent les effets de l’alcool, c’est scientifiquement prouvé. Regarde cet article paru dans Επιστημονικό περιοδικό. Là, il est dit que le lierre ‘par sa fraîcheur, apaise les chaleurs du vin et rend cette liqueur moins nuisibleʼ et plus loin sur la rose et la violette, la revue dit que ‘leurs odeurs astringentes répriment les pesanteurs de tête.

Du lierre, des roses et des violettes… Je sais ce qu’il me reste à faire. En plus, cette association peut être jolie.

Combien y a-t-il d’invités ?

– Une dizaine, je pense.

– Alors prévois environ 140 couronnes.

– QUOI !?!

– Il faut prévoir trois couronnes par convive : une sur la tête, une sur le front et une autre autour du cou. À renouveler au moins une fois car les fleurs se fanent. Les autres seront accrochées aux portes et aux murs ou serviront à décorer la table.

Soudain, la soirée rêvée se transformait en une journée de travail bénévole. Mais c’était pour s’attirer les bonnes grâces d’Athos, alors…

Des fleurs pour un banquet

Le lendemain du banquet, au petit matin, Odéa trouva suspendue à sa porte une couronne de fleurs : très belle réalisation harmonieusement colorée faite par l’une de ses consœurs (ce n’était pas son œuvre, elle s’en souviendrait). Elle se mit à rougir car seul un prétendant pouvait accrocher à sa porte une couronne de fleurs ainsi exposée à la vue de tous.

Athos. Ce ne pouvait être que lui. Son esprit romanesque transparaissait dans les coloris de cette composition florale. Aucun message n’accompagnait l’objet floral. Mais alors qu’elle regardait l’objet, non sans déformation professionnelle, une voix se fit entendre dans son dos :

J’espère que cette couronne te plaît. C’est moi qui l’ai accrochée.

La voix ne lui était pas inconnue mais ce n’était pas celle d’Athos. Perplexe, Odéa se retourna et quelle ne fut pas sa surprise. 

Caius, le rosiériste romain, se tenait devant elle, tout sourire.

Odéa ne savait que dire. En effet, l’accrochage d’une couronne de fleurs sur une porte était un acte sans équivoque. Avec ce geste, Caius exprimait son amour entier, immodéré et passionnel pour Odéa.

Ta couronne est très belle. Des giroflées, des narcisses, des roses, des jacinthes et des lys… Cette couronne est pleine d’audace.

– Pas autant que toi. Je l’ai voulue à ton image : généreuse, joyeuse et éclatante de beauté.

Fuyante mais enchantée, Odéa détourna la conversation :

Chez laquelle de mes consœurs es-tu allé pour la réaliser ?

– Je suis allé chez Glycère. C’est d’ailleurs elle qui m’a donné ton adresse.

– Je comprends mieux pourquoi toutes les fleurs que j’aime sont ici réunies. Et ces roses… elles sont superbes.

– Ce sont des roses de ma propre production. Elles n’ont absolument pas souffert durant le trajet. J’ai bien fait de tenter l’expérience. Je sais maintenant que je peux faire de l’import-export de fleurs avec la Grèce. Mais laissons les fleurs de côté si tu le veux bien.

Ce soir, ils jouent une pièce de théâtre en ville. Si tu veux, on peut y aller ensemble. C’est avec Athos, l’acteur qui a remporté les Grandes Dionysies.

Glycère se liquéfia sur place mais accepta l’invitation, très heureuse de passer la soirée en compagnie de Caius.

Elle pensa qu’il y avait peu de chances pour qu’Athos la repère dans l’amphithéâtre bondé. Et quand bien même.

Des fleurs pour un mariage

Hasard du calendrier, Odéa avait reçu pour ce jour-là une importante commande : la décoration d’un mariage en grande pompe de la fille d’un notable d’Athènes.

Pour l’occasion, la fleuriste avait pour instruction de décorer entièrement l’immense maison dans laquelle les festivités auraient lieu. Les parents de la mariée lui avaient commandé des dizaines de mètres de guirlandes de laurier et d’olivier ainsi que de nombreuses couronnes de myrte pour orner les murs. Que du classique dans l’air du temps. Mais il fallait aussi décorer le gynécée, faire des compositions pour agrémenter les tables et donner un coup de jeune au jardin. Une longue journée en vue. Odéa demanda de l’aide à Glycère : elles ne seraient pas trop de deux pour venir à bout d’un tel travail.

Tout en accrochant les lourdes couronnes, les deux femmes discutaient.

Tu as aimé la couronne que t’a offert Caius ? L’a-t-il accrochée à ta porte ?

– Quand j’ai vu sa très belle couronne suspendue à ma porte ce matin, j’ai cru défaillir.

– Tu sais ce que ça veut dire. Seuls les hommes très épris se donnent la peine d’accrocher une couronne de fleurs sur la porte d’une demoiselle. La prochaine étape est la demande en mariage. Sais-tu quand il envisage de la faire ?

– Il n’est pas du genre patient. Il m’a demandé de l’accompagner à la représentation d’Athos ce soir et il n’est pas impossible qu’il en profite pour tenter sa chance.

– Vous allez ensemble voir Athos ?!

La future mariée entra soudainement dans la pièce où travaillaient les deux fleuristes et se mit, comme le veut la tradition, à confectionner elle-même sa couronne nuptiale avec du myrte.

Odéa pensa alors que le jour de son mariage, elle ne se contenterait pas d’une couronne de myrte, trop simple. À bas les coutumes, vive les couleurs. 

Le concours de bouquets.

La sortie au théâtre ne se passa pas comme prévu :  Athos aperçut Odéa lors de sa représentation. La jeune femme ne s’attarda pas une fois la pièce terminée mais le comédien, malin et motivé, la harponna avant qu’elle ne parte. Il comprit alors qu’elle était accompagnée et vit rouge. Athos n’aimait pas la concurrence mais décida de relever un défi : évincer son adversaire.

Bientôt, retrouvez la suite de notre épisode …